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Legal case

Conflits de loi : Droit français reconnu applicable sur la base de la règle exceptionnelle de l’article 4(3) du Règlement Rome II

Un juge anglais a déclaré la loi française applicable en vertu des provisions exceptionnelles et strictement applicables de l’article 4(3) de Rome…

Owen v Galgey & Ors [2020] EWHC 3546 (QB) (21 December 2020)

Le Juge anglais a récemment effectué une application rare et remarquée de la disposition exceptionnelle et d’application stricte de l’article 4(3) de Rome II.

Les faits

Cette affaire concerne un accident en France en avril 2018. Le demandeur, citoyen britannique normalement résident en Angleterre, est tombé dans une piscine vide (en rénovation) dans une villa située dans le Gard et a subi un traumatisme crânien ainsi qu’une fracture de vertèbre.
Une action en justice est engagée devant la High Court of Justice d’Angleterre contre deux séries de défendeurs :

  • Le propriétaire de la villa et son épouse, tous deux citoyens britanniques également résidents en Angleterre, ainsi que leur assureur de responsabilité (assureur multirisques de la villa);
  • Une société de rénovation de piscine qui avait effectué des travaux de réfection de la piscine ce jour-là et au cours des quelques semaines précédentes, de manière à remettre la piscine en état pour la location de la villa au cours de l’été suivant ; et
  • À noter tout d’abord que la compétence juridictionnelle du tribunal anglais n’avait été contestée par aucun des défendeurs. En effet, le propriétaire de la villa et son épouse étant domiciliés en Angleterre, ils pouvaient être assignés dans ce pays ; les deux assureurs français étaient attraits sur le fondement de l’article 11 du Règlement de Bruxelles 1215/2012, et enfin la société de rénovation de la piscine était attraite sur le fondement de la pluralité de défendeurs et compte tenu de la connexité des demandes.

Le conflit de lois

La demande était plaidée contre tous les défendeurs sur le fondement du droit français (en particulier de la responsabilité du fait des choses, régime favorable à la victime étant donné la présomption de responsabilité et l’inversion de la charge de la preuve). La société de rénovation de la piscine et son assureur n’ont pas contesté que le droit français était bien applicable à leur égard. En revanche le propriétaire de la villa et son épouse ainsi que leur assureur (français) ont plaidé dans leur défense que le droit anglais serait applicable dans leurs rapports avec la victime.

Lors de la première audience de mise en état en mars 2020, sur suggestion des parties, le juge a ordonné une audience préliminaire sur la question de la détermination du droit applicable entre le demandeur et les premier, deuxième et troisième défendeurs. L’affaire a fait l’objet d’une audience (en visio-conférence) devant le Juge Linden en décembre 2020.

Rappel des textes

RÈGLEMENT (CE) N o 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II »)

Article 4 – Règle générale

  1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.
  2. Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s’applique.
  3. S’il résulte de l’ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s’applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu’un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question.

Si à première vue, en application de l’alinéa 1 de l’article 4, la loi française apparaissait applicable comme étant la loi du lieu de l’accident, cette règle est normalement déplacée automatiquement par de l’alinéa 2 lorsque la personne lésée et la ou les personnes dont la responsabilité est invoquée sont habituellement résidents dans le même pays. En l’occurrence, le demandeur ainsi que le propriétaire de la villa et son épouse (soit dit en passant possible gardienne de la ‘chose’ [la piscine]) étaient tous habituellement résidents en Angleterre.

L’avocat intervenant pour eux et leur assureur soutenait donc que le droit anglais devait automatiquement être applicable dans leurs rapports.

Or, le demandeur soutenait qu’en application de l’alinéa 3, la loi française devait néanmoins s’appliquer du fait que le fait dommageable présentait des liens manifestement plus étroits avec la France qu’avec l’Angleterre.

La décision

Il est connu que la règle de déplacement édictée a l’alinéa 3 est et doit demeurer exceptionnelle afin d’assurer la sécurité juridique, qui est l’un des objectifs du Règlement Rome II. Les mots « manifestement plus étroits » indiquent bien que le niveau de preuves factuelles à apporter sur la connexion avec un autre pays est particulièrement exigeant.

En l’occurrence le juge a fait référence aux travaux préparatoires de Rome II (ainsi qu’au considérant 6 relatif à la prévisibilité de l’issue des litiges et à la sécurité juridique), ainsi qu’à la décision Marshall c/ MIB de 2015 (qui est la seule autre décision anglaise ayant fait application de l’exception de l’alinéa 3, également en faveur du droit français contre le droit anglais), pour apprécier les circonstances de l’espèce et notamment :

  • le fait que l’accident et le dommage aient eu lieu en France ;
  • sur une propriété immobilière située en France ;
  • que l’assureur multirisque habitation de la villa devait en principe s’attendre à ce que sa police s’applique à des situations de droit français ;
  • le fait que le quatrième défendeur (la société de rénovation de la piscine) et son assureur étaient tous 2 domiciliés en France et que le droit français s’appliquait à eux ;
  • le fait qu’il n’existait pas a priori de contrat entre le demandeur et les deux premiers défendeurs (bien qu’une relation préexistante existait entre eux) ;
  • le fait que le dommage était manifestement lié à l’état de la piscine et qu’il y avait un contrat entre les deux premiers défendeurs et le quatrième défendeur ; et
  • pour décider que, selon lui, ces éléments suffisaient à établir la relation « manifestement plus étroite » du délit avec la France qu’avec l’Angleterre. La France était aussi décrite comme le « centre de gravité » du délit en question.

Il s’agit d’une décision remarquée car l’application de l’article 4(3) de Rome II demeure (à juste titre) exceptionnelle. Reste à noter qu’elle est extrêmement dépendante des faits de l’espèce et des preuves apportées.

Pierre Thomas Law intervenait dans l’intérêt de la victime. L’affaire se poursuit actuellement sur le fond devant la Haute Court de Justice, sur la question des responsabilités et de l’évaluation des dommages en application du droit français.