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Précisions sur la notion de victime en droit français

Simon Ball revient sur la définition de « victime » en droit français et son impact sur les demandes d'indemnisation.

Série de décisions en 2022 sur la qualité de ‘victime’

Au sens général du terme, on entend par ‘victime’ la personne titulaire d’un droit à indemnisation des suites d’un dommage corporel subi en relation avec un fait générateur imputable à un tiers responsable. Néanmoins la qualité de victime donne parfois lieu à des débats judiciaires. L’année 2022 a été riche en enseignements de la part de la Cour de cassation française sur la détermination et la circonscription de la qualité de victime, allant dans le sens d’un élargissement de cette notion.

D’abord, trois arrêts de la Chambre Criminelle de la Cour de cassation du 15 février 2022 ont apporté des précisions sur la qualité de victime pouvant se constituer partie civile devant un juge d’instruction. Dans les trois espèces, les personnes prétendant à la qualité de victime étaient des personnes impliquées temporellement dans des attentats terroristes, mais n’ayant pas, selon la Chambre de l’Instruction, été directement exposées au risque de mort ou de blessures causé par le fait générateur (l’acte terroriste), ladite Chambre les considérant comme ‘témoins’ de la commission des infractions, et non victimes :

  • Un homme ayant poursuivi le camion qui avait fait irruption sur la Promenade des Anglais à Nice en juillet 2016 pour tenter de neutraliser le conducteur, et ayant par la suite développé un traumatisme psychologique grave ;
  • Une femme qui avait entendu des coups de feu et des cris (lors du même attentat) et, croyant y être exposée, avait sauté sur la plage, se blessant à la tête ; et
  • Une femme qui s’était interposée lors de l’agression mortelle, à caractère terroriste, de deux personnes à Marseille en 2017, tentant de faire cesser l’infraction, et qui souffrait d’un traumatisme psychique.

La Cour de cassation casse les trois décisions de la Chambre de l’Instruction dans ses trois arrêts susvisés, au visa des articles 2, 3 et 87 du code de procédure pénale dont elle déduit, dans un attendu de principe repris dans les trois arrêts, que « pour qu’une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d’instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent au juge d’instruction d’admettre comme possibles l’existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale ».

La Cour considère ensuite que, pour chacune de ces affaires, l’action dans laquelle la personne s’est engagée pour interrompre la commission de l’infraction ou empêcher le renouvellement d’atteintes intentionnelles graves aux personnes, auxquelles elle s’est elle-même exposée, est indissociable de ces infractions, de sorte que le préjudice pouvant en résulter pour elle peut être en relation directe avec ces dernières.

La deuxième série de décisions provient de la Deuxième Chambre civile de la Cour de cassation, en date du 27 octobre 2022. Ces affaires concernaient des demandes d’indemnisation présentées au Fonds de Garantie des Victimes d’Actes de Terrorisme et autres Infractions (FGTI), par des personnes auxquelles le Fonds avait refusé de reconnaitre la qualité de ‘victimes’, et donc de personnes titulaires d’un droit à indemnisation.

Trois décisions de cette date reconnaissent le droit à indemnisation des victimes par ricochet, ayants-droits de victimes directes de l’attentat de l’Hypercasher à Vincennes en janvier 2015 ayant survécu. Le Fonds soutenait que les seuls ayants-droits titulaires d’un droit à indemnisation étaient ceux de victimes directes décédées. La Cour de cassation rejette cette position au motif que « n’est pas exclue, lorsque la victime directe d’un acte de terrorisme a survécu, l’indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun ».

Au sein-même de ces arrêts, la Cour cite son arrêt de Chambre Mixte du 25 mars 2022 relatif à la reconnaissance du caractère autonome du préjudice d’attente et d’inquiétude des proches d’une victime exposée à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, y compris en cas de survie de celle-ci.

À noter, par contraste, le quatrième arrêt du 27 octobre 2022 qui rejette la demande d’indemnisation que personnes qualifiées cette fois de ‘témoins’ d’un acte de terrorisme et non de ‘victimes’, au motif que « le fait pour une personne de s’être trouvée à proximité du lieu d’un attentat et d’en avoir été le témoin ne suffit pas, en soi, à lui conférer la qualité de victime », considérant que, dans les faits de l’espèce, les personnes en question n’avaient, à aucun moment, été directement exposées à un péril objectif de mort ou d’atteinte corporelle, ne s’étant pas trouvées sur la trajectoire du véhicule du terroriste, qui avait fini sa course à plus de 400 mètres d’eux.

Si le principe rappelé est compréhensible et bien entendu acceptable, on comprend moins où se trouve la frontière, en terme de proximité avec l’évènement, qui permettrait de dire avec certitude qui est victime et qui n’est ‘que’ témoin, car dans cette affaire les demandeurs avaient bien subi un dommage corporel (de nature psychologique).

Ces précisions sur la qualification juridique de la notion de victime sont bienvenues et vont globalement dans un sens favorable aux victimes, mais il apparait que l’appréciation de la qualité de témoin ou de victime est aussi éminemment factuelle et que la distinction entre les deux demeure, au moins dans certains cas, floue, comme l’on peut le constater dans le dernier arrêt.

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